vendredi 19 juin 2009

Parler avec les jeunes - Article publié en septembre 08

La campagne nationale de dialogue avec la jeunesse couvre depuis quelques temps le paysage médiatique tunisien; des spots télévisés, des annonces dans les journaux et des affiches publiques partout.
Il se doit de souligner que, si une telle initiative ait été lancée, c’est que son besoin s'était fait sentir. Là encore, la Tunisie s’est montrée sensible aux inquiétudes de ses fils et être à l’écoute de leurs attentes.
Toutefois, et avant de s’engager dans un tel dialogue, trois questions se posent avec insistance :
1. Pourquoi le dialogue ? serait-ce un sous-entendu d’aveu que la jeunesse, le plus grand investissement de la Tunisie indépendante et son capital principal, n’est pas suffisamment impliquée dans les démarches nationales, voire marginalisée et absente des centres de décision. S’adresser à la « jeunesse tunisienne » en bloc, comme si elle serait une communauté isolée de la société, est particulièrement intéressant ; surtout en considérant que cette jeunesse, du moins la tranche âgée de 18 à 35 ans, constitue plus du quart de la population et plus que la moitié de son élite diplômée !
2. Comment devrait être menée une telle action ? comment un dialogue peut-il s'assurer de toucher toutes les fractions de la jeunesse tunisienne ? celle qui réussit, et celle qui peine ; celle qui se sent confiante en l’avenir et celle qui se voit déçue et désintéressée du pays.Comment procéder pour recruter une tranche de la population qui refuse déjà d’intégrer les processus politiques et sociaux et qui n’est pas habituée à faire le pas pour participer aux débats. En ignorant ces faits, n’aurions nous pas les mêmes têtes et ne retrouverions nous pas les mêmes opinions ?? Ceux qui son déjà présents, ceux qui s'expriment déjà et qui sont bien dressés aux rouages politiques, jouissant d'une certaine satisfaction et dont les discours se retrouvent plus ou moins en harmonie de phase avec le discours général.Je suis loin d'imaginer que cette campagne fut lancée pour eux, et que l'état se fut infligé toute cette peine pour quelque chose de déjà acquise.
En ignorant, ou en manquant à fournir l'effort nécessaire pour recruter à ce dialogue la masse silencieuse, déjà par définition passive, ne serions-nous pas en train de perdre une nouvelle occasion d’écouter ceux qui ont un avis différent à donner, les repoussant davantage dans leurs coins.
3. Qu’est ce que l’on s’attend de ce dialogue ? et quels sont les paramètres pour évaluer le succès de ce mouvement par rapport aux objectifs préalablement fixés; le taux de couvertures des recensements et discussions effectués, la pertinence des discussions et les perspectives qu'elle peuvent émettre... Ayons nous des paramètres plus tangibles et plus explicites que des chiffres secs et vides de "tant de personnes ont participé" ou "tant d’idées ont été collectées"...?!
Toutefois, il se doit de dire aussi que cette campagne confirme ce que l’on peut définir de «début de printemps de l’expression » en Tunisie, et qui se fait sentir depuis quelques temps dans le paysage médiatique national. Une petite visite au forum de discussion ouvert sur le net, le « pacte-jeunesse.com », permet d’avoir une idée : tous les sujets sont présents, sans tabous ni retenues, du port du voile au patriotisme, passant par l’identité nationale. Les jeunes sont bel et bien en train de s’exprimer déjà très librement sur le net ; mais ce qui est intéressant ici, c’est qu’ils viennent le faire sur un « site officiel ».Il reste que ce forum, imprégné en ‘mauve’, est conçu d’une manière qui installe une certaine confusion entre l’aspect « nationaliste » que propose la campagne et des positions politiques précises. Même lorsqu’on est pour la politique actuelle du pays, on doit reconnaître qu’il soit discréditant à ce dialogue, proposé dans une approche démocratique et pluraliste, de l’associer à un parti ou des appartenances politiques aux dépends des autres... Il sera alors naturel que soient seules ces mêmes fractions, déjà acquises, qui participent au dialogue, et qu’une bonne partie de la jeunesse, opposante ou tout simplement désintéressée de la politique, voit en cette campagne un outil politique ou une propagande qu’ils n’ont rien à voir avec !
Cette démarche est venue répondre à des sentiments de ‘non compris’, de ‘soumis au rythme’ et de 'désintérêt', qui s’étaient faits sentir chez les jeunes tunisiens. Cette jeunesse qui a été soigneusement éduquée, qui se sent aujourd’hui fière de ce qu’elle est devenue et digne de la grandeur de son pays.
Pourtant, et parmi les premières réactions recueillis sur la campagne de dialogue, fut la frustration ! Déjà, et à peine la campagne démarrée et que les jeunes commençaient à y prendre part, on assistait à des spots télévisés, rembobinés en continu, montrant des jeunes étudiants arabes vivant en Tunisie, répétant que le jeune tunisien doit s’estimer heureux de ses acquis et se dire qu’il vit beaucoup mieux que ses semblables ailleurs ! Si ce serait bien la conclusion à laquelle on cherche à aboutir, ce n'est plus un dialogue mais une leçon de plus... Et qui avait dit que le tunisien n’en était pas déjà conscient ? Toutefois, aborder ainsi la discussion est, honnêtement, tout sauf motivant pour ce qui sera de sa suite. Entretenir la langue de bois dans le dialogue adressé à la jeunesse est souvent perçu comme un ‘manque de considération à son intelligence et son éducation’. En effet, en considérant que l’écrasante majorité de la jeunesse tunisienne d’aujourd’hui, élevée à l’ère de l’internet et des chaines satellites, est bien instruite et bien ouverte sur le monde extérieur, le discours qui lui est adressé doit absolument tenir compte de ses attentes et de son niveau intellectuel.
Le slogan de cette campagne de dialogue, en soi-même, va encore plus loin dans cette problématique : « les jeunes sont la solution et pas le problème ! » ; mais déjà, pourquoi avoir pensé qu’ils peuvent en être un ? et qu’est ce qui avait amené les gens à voir dans la moitié de la population, celle dans laquelle s’est investie toute la nation pendant ses 50 ans d’indépendance, un problème ..?!
Avec l’élargissement des moyens, grandissent les besoins ; alors il est tout à fait naturel que le jeune tunisien voit aujourd’hui en plus grand et soit plus exigeant ; cela ne fera point de lui moins patriote. Il se peut que son ‘désintérêt’ n'est autre qu'une passive réponse à son exclusion ; au faite qu’il ne soit pas suffisamment impliquée dans les processus sociaux, économiques et politiques du pays, que l’entrée aux cercles politiques tunisiens -donnant toujours l’impression d’être bien balisés- demeure conditionnée à un nombre de positions et pratiques, perçues par beaucoup comme révolues, voire indignes de leur temps et de leur éducation.La jeunesse tunisienne, qui est en train de se procurer le centre de gravité de la société démange d’une énergie qui jaillit dans tous ses états, tantôt destructrice (immigration clandestine, intégrisme, violence dans les stades…), et d’autres constructive (carrières à succès, exploits sportifs, prouesses scientifiques…). Canaliser cette énergie et essayer de la ramener dans l’intérêt national commun est une très importante opportunité pour le pays; elle permettra de donner un grand souffle porteur aux démarches progressistes déjà engagées. Une transition dans le calme et la sérénité ; à la tunisienne…
Le tunisien est très intelligent, très nationaliste et très fier de son identité et de ses appartenances. Etre un jeune tunisien aujourd’hui est pour beaucoup un label qualité ; rimant avec sérieux, compétence et succès. Il ne songe qu’à être reconnu par ses aînées, être respecté pour ce qu’il est, et impliqué dans l’élaboration de son avenir. Malgré tout ce que l’on peut dire de lui, le jeune tunisien est mature et se place parfaitement bien dans un contexte international compliqué. La question est justement un problème de communication, et cette campagne de dialogue, malgré des imperfections qui restent récupérables, est certainement l'une des meilleures initiatives prises pour reconstruire les ponts et inviter la jeunesse tunisienne à prendre une position plus avancée dans les projets nationaux.

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