dimanche 23 janvier 2011

la révolution tunisienne… peut-on déjà crier victoire ?

De toute la foule rassemblée vendredi dernier devant le ministère de l’intérieur, personne ne pourrait prétendre qu’il se serait attendu à ce que la consécration de cette « révolution tunisienne » soit annoncée aussi rapidement, aussi solennellement…
Les évènements avaient surpris tout le monde, la population en premier. Trois semaines d’insurrection dans les villes internes, quatre jours de violences à Tunis et une grande manifestation sur la grande avenue seraient-ils capables d’échouer un régime qui était jusque là modèle de puissance et de capacité de répression ?!
Mais si le régime de Ben Ali n’était pas délimité au seul président enfui ? Si la machine au pouvoir de la Tunisie n’était pas si intimidable pour céder à la première voix qui lui a criée « Dégage ! ». Croire à cela semblerait simpliste.
Sur la télé –devenue « nationale »- on parle de 23 ans d’oppression et de dictature ; mais était-ce si différent avant ? Le régime déchu n’était pas une continuité du précédent ? N’était-ce pas le même pouvoir qui tient (et j’ai sciemment utilisé le présent) le pays depuis cinquante ans ?
Ce que l’on pourrait appeler « Establishment » politico-policier qui a toujours régné sur notre pays est toujours là ; il a survécu et reste tenace à ses positions, aussi bien qu’à ses avantages… Ce qui s’est passé durant les dernières semaines, c’est que ce « pouvoir » a été obligé de se débarrasser de quelques charges qui risquaient de faire couler sa barque.

L’allocution présidentielle du 13 janvier 2011 a pu faire comprendre aux tunisiens que le tyran était déstabilisé. Visiblement, il battait en retraite et ses mots trahissaient sa peur et une faiblesse qu’il n’avait jamais montrées durant ses 23 ans au pouvoir !
Le deuxième point qu’ils auraient retenu, c’est qu’on ne tirera plus à balles réelles sur la population, et que les caméras du monde seront permises de couvrir les évènements au pays. Suffisantes garanties pour que des centaines de milliers de tunisiens s’amassent sur l’Avenue Bourguiba, aux portes de ce temple du mal qu’est le ministère de l’intérieur, criant haut et fort qu’ils ne veulent plus, ni de BenAli, ni de sa police taxée de « terroriste ».

Là, le « pouvoir » devait agir, et rapidement… « s’ils auraient osé insulter BenAli et les tout puissants Trabelsis, sur les marches du ministère de l’intérieur même, à visages découverts et devant les caméras, c’est qu’ils n’ont plus peur et que plus rien ne les arrêtera ! »
« Ils te disent : Dégage, donc tu dégages ! Tu dois quitter la barque sinon tout le monde coulera avec toi ». Ses gendres –les plus médiatisés- furent aussitôt jetés dans la gueule du peuple pour qu’il les mette au grand feu, eux et leurs avoirs… De toute façon, personne ne va les regretter ; ils étaient haïs par quasiment tout le monde.
Personne ne sait ce qui s’est vraiment passé dans le palais de Carthage ce jour là, ni comment fut décidée l’éviction de BenAli de son poste et organisée sa fuite - avérée hâtive.
Tout le monde a cependant ouvert ses yeux sur le degré de traitrise et de criminalité de ce « Pouvoir » : des snipers sur les toits et des meurtriers sillonnant les villes de la nuit, tuant les gens dans leurs demeures et incendiant systématiquement les bâtiments stratégiques…
Au moment où BenAli prenait son avion, la police se serait retirée des villes et ouvert les portes des prisons !
Visiblement, certains jouaient la carte de la terre brûlée disant que les tunisiens ne sauraient supporter la terreur et l’anarchie, surtout à Tunis. « Sous la pression, ils se contenteront de ce qui a été obtenu et reviendront regretter le temps de la paix et de la tranquillité. Avec un peu de chance, on leur fera même regretter le temps de BenAli ! » Se seraient-ils dits.
Ce fut la pire des manœuvres, et en particulier pour ses conspirateurs mêmes… Il est vrai que les pillages, les saccages et les tueries avaient beaucoup coûté au pays, mais cela a réussi à faire ce que personne n’aurait calculé : une cohésion sociale sans précédent et l’implication de toute la population soudée dans un effort global de protection de la nation.
L’expérience vécue par ces gens qui ont passé des nuits blanches pour veiller sur la sécurité de leurs familles et de leurs biens, ces gens ordinaires pacifiques qui sont allés jusqu’à porter couteaux et bâtons ; cette expérience a fait naitre en eux le sentiment de prendre part à la révolution, qu’ils ont un ennemi commun qui leur veut du mal, et qu’ils ont désormais des acquis à protéger.
Oui, la révolution a vaincu ; non pas parce que BenAli a été obligé à fuir, non pas parce que l’on peut maintenant parler librement des démons qui avaient hanté le pays durant l’ère passée, et encore moins parce que les maisons et les voitures des Trabelsis ont été démolies… Le peuple a vaincu parce qu’il s’est débarrassé de sa peur, parce qu’il a adhéré à un projet commun, parce qu’il a pris conscience de son pouvoir, de sa valeur et de ses acquis. Que d’enseignements !

Mais est ce que c’est vraiment « fini » ? Est ce que « tout » a été fait ?
Tout le monde convient que non. De retour aux bureaux et dans la rue, les Tunisiens retrouveront les mêmes visages, occupant les postes… et même si beaucoup d’entre eux (pâlissants de terreur) seraient déjà en train de chercher la nouvelle couleur à porter.
Le policier qui a du subir une sorte de ‘déformation professionnelle’ pendant plus de vingt ans, qui s’est habitué à mépriser les citoyens, à agir en ‘dieu’ et en gardien des lois - hors la loi, à se faire un complément de salaire de la poche des gens… sera-t-il capable de se métamorphoser, par miracle, à l’écoute d’un discours ? Et si ce policier représentait la majorité des forces de l’ordre tunisiennes ?

Le responsable d’une société publique qui ne mérite pas son poste, obtenu par favoritisme ou pour « services rendus », est-il capable de changer, de s’améliorer ? Et si ce responsable représentait une grande partie de ceux qui régissent ce pays ?
Beaucoup de questions se posent aujourd’hui et on ne sait pas si la machine politique tunisienne (je vais le répéter : profondément pourrie) saura consommer ses nouvelles perspectives ? Serait-on capable de nettoyer du linge sale avec de l’eau souillée ?
Peut on vraiment croire que ce que l’on peut faire du neuf avec du vieux ?
Que faudrait-t-il laisser tomber ? Que faudrait-t-il garder ?
Toutefois, il ne faut surtout pas tomber dans le piège de la stigmatisation ; la diabolisation du passé ne nous ressemble pas. Après tout, l’ensemble des Tunisiens doit commencer par faire l’aveu qu’ils faisaient tous, chacun de sa manière, partie de l’« ancien ».
Tout le monde avait cautionné la dictature pendant très longtemps ; tous les tunisiens avaient participé à la mascarade, que ce soit par un « remerciement » en marge d’un discours, par un pot de vin versé à un responsable ou à un policier de circulation, ou même par un silence passif qui a trop duré. Le RCD ne comptait-il pas 2 millions d’adhérents ?!
Il en est de même pour la corruption en Tunisie, un très grand spectre de Tunisiens y avait pris part mais cela ne fera pas de « tous » les tunisiens des ripoux. Il est sûr qu’au-delà d’une certaine barre, il faut que justice soit rendue ; il nous faut un grand ménage mais certainement pas une chasse aux sorcières !
La colère est justifiée mais le triomphe de la révolution ne doit pas l’aveugler. Après tout, le plus important c’est l’avenir et non le passé.
Il n’y a jamais eu de lendemain plus difficile que celui de l’abolition de l’Apartheid en Afrique du Sud. Des siècles d’injustice et de querelles ont été surpassés pour le bien d’une nation condamnée à se réconcilier et à voir de l’avant, ensemble. Ce pays a rapidement pris sa place parmi les grands de ce monde et la nouvelle génération tente déjà de finir avec l’étiquette de discrimination pour qu’elle rejoigne l’histoire ancienne.

La Tunisie est aujourd’hui un corps malade et elle demande à être soignée. Comme tout corps cancéreux, il faut le scanner, commencer par l’opérer, éliminer les métastases irrémédiables puis commencer un traitement de fond… une chimio qui tachera d’assainir ce pays. Ce genre de cures est malheureusement long et pénible, mais inévitable.
Ensemble, les Tunisiens sauront rebâtir tout ce qui a été détruit. La passion qui les emporte fera de ce pays le miracle tant plébiscité…
Les rues démangent encore, et le peuple qui n’a jamais été impliqué dans sa gouvernance se retrouve d’un coup « gardien de sa révolution ». Il demande à être entendu, exige de ne plus être exclu, et dit clairement qu’il ne laissera plus personne mettre la main sur sa destinée.
Tout ce bruit autour du nouveau ministère et du RCD est un signe de santé et de vitalité d’une révolution qui a le droit d’exiger l’éradication du mal, à commencer par sa tête. La population a droit à ne se décolérer qu’après perception d’un vent nouveau, d’un vrai changement. Ce sera la lettre de garantie de la révolution et une pression contre les forces de retour en arrière qui, il ne faut pas le nier, sont aussi réelles que tenaces.
Comme toute naissance, celle de la démocratie tunisienne ne sera pas facile ; et, pour les leaders politiques nouveaux qui ont pris le relais pour cette période transitoire, ils auront la plus rude des taches.
Ce mouvement a tout donné mais a pas été incapable de donner un leadership. C’est peut-être la chance, voire la grâce de cette révolution… Désormais, elle appartient à tous les Tunisiens ; personne ne peut prétendre se l’approprier.
Le retour en arrière est impossible, et ce qui s'est passé est bien irréversible. Personne ne peut voler la révolution parce que personne ne la tient, elle est en chacun de nous.

La révolution a gagné mais elle reste encore fragile et surexcitée. Elle doit se libérer de son panache, de son « adolescence » et de ses discours radicaux. La politique étant, avant tout, une obligation de résultats, et le peuple attend de ceux à qui il vient de rendre le flambeau qu’ils soient à la hauteur, aussi bien des sacrifices, que de la situation.

La mission des rues en colère et des torses nues face aux balles de plomb est aujourd’hui finie ; aujourd’hui commence la deuxième partie de la révolution : celle des têtes.
Chacun doit préserver sa liberté en l’exerçant. Ensemble, on va restaurer la confiance, en l’état et ses institutions, la confiance en notre destin et en les valeurs de droit. Regardons de l’avant, ayons confiance en nous-mêmes, et nous serons capables de préserver notre victoire. Désormais, il sera légitime d’avoir foi que tout ira pour le mieux pour notre pays.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire