dimanche 23 janvier 2011

la révolution tunisienne… peut-on déjà crier victoire ?

De toute la foule rassemblée vendredi dernier devant le ministère de l’intérieur, personne ne pourrait prétendre qu’il se serait attendu à ce que la consécration de cette « révolution tunisienne » soit annoncée aussi rapidement, aussi solennellement…
Les évènements avaient surpris tout le monde, la population en premier. Trois semaines d’insurrection dans les villes internes, quatre jours de violences à Tunis et une grande manifestation sur la grande avenue seraient-ils capables d’échouer un régime qui était jusque là modèle de puissance et de capacité de répression ?!
Mais si le régime de Ben Ali n’était pas délimité au seul président enfui ? Si la machine au pouvoir de la Tunisie n’était pas si intimidable pour céder à la première voix qui lui a criée « Dégage ! ». Croire à cela semblerait simpliste.
Sur la télé –devenue « nationale »- on parle de 23 ans d’oppression et de dictature ; mais était-ce si différent avant ? Le régime déchu n’était pas une continuité du précédent ? N’était-ce pas le même pouvoir qui tient (et j’ai sciemment utilisé le présent) le pays depuis cinquante ans ?
Ce que l’on pourrait appeler « Establishment » politico-policier qui a toujours régné sur notre pays est toujours là ; il a survécu et reste tenace à ses positions, aussi bien qu’à ses avantages… Ce qui s’est passé durant les dernières semaines, c’est que ce « pouvoir » a été obligé de se débarrasser de quelques charges qui risquaient de faire couler sa barque.

L’allocution présidentielle du 13 janvier 2011 a pu faire comprendre aux tunisiens que le tyran était déstabilisé. Visiblement, il battait en retraite et ses mots trahissaient sa peur et une faiblesse qu’il n’avait jamais montrées durant ses 23 ans au pouvoir !
Le deuxième point qu’ils auraient retenu, c’est qu’on ne tirera plus à balles réelles sur la population, et que les caméras du monde seront permises de couvrir les évènements au pays. Suffisantes garanties pour que des centaines de milliers de tunisiens s’amassent sur l’Avenue Bourguiba, aux portes de ce temple du mal qu’est le ministère de l’intérieur, criant haut et fort qu’ils ne veulent plus, ni de BenAli, ni de sa police taxée de « terroriste ».

Là, le « pouvoir » devait agir, et rapidement… « s’ils auraient osé insulter BenAli et les tout puissants Trabelsis, sur les marches du ministère de l’intérieur même, à visages découverts et devant les caméras, c’est qu’ils n’ont plus peur et que plus rien ne les arrêtera ! »
« Ils te disent : Dégage, donc tu dégages ! Tu dois quitter la barque sinon tout le monde coulera avec toi ». Ses gendres –les plus médiatisés- furent aussitôt jetés dans la gueule du peuple pour qu’il les mette au grand feu, eux et leurs avoirs… De toute façon, personne ne va les regretter ; ils étaient haïs par quasiment tout le monde.
Personne ne sait ce qui s’est vraiment passé dans le palais de Carthage ce jour là, ni comment fut décidée l’éviction de BenAli de son poste et organisée sa fuite - avérée hâtive.
Tout le monde a cependant ouvert ses yeux sur le degré de traitrise et de criminalité de ce « Pouvoir » : des snipers sur les toits et des meurtriers sillonnant les villes de la nuit, tuant les gens dans leurs demeures et incendiant systématiquement les bâtiments stratégiques…
Au moment où BenAli prenait son avion, la police se serait retirée des villes et ouvert les portes des prisons !
Visiblement, certains jouaient la carte de la terre brûlée disant que les tunisiens ne sauraient supporter la terreur et l’anarchie, surtout à Tunis. « Sous la pression, ils se contenteront de ce qui a été obtenu et reviendront regretter le temps de la paix et de la tranquillité. Avec un peu de chance, on leur fera même regretter le temps de BenAli ! » Se seraient-ils dits.
Ce fut la pire des manœuvres, et en particulier pour ses conspirateurs mêmes… Il est vrai que les pillages, les saccages et les tueries avaient beaucoup coûté au pays, mais cela a réussi à faire ce que personne n’aurait calculé : une cohésion sociale sans précédent et l’implication de toute la population soudée dans un effort global de protection de la nation.
L’expérience vécue par ces gens qui ont passé des nuits blanches pour veiller sur la sécurité de leurs familles et de leurs biens, ces gens ordinaires pacifiques qui sont allés jusqu’à porter couteaux et bâtons ; cette expérience a fait naitre en eux le sentiment de prendre part à la révolution, qu’ils ont un ennemi commun qui leur veut du mal, et qu’ils ont désormais des acquis à protéger.
Oui, la révolution a vaincu ; non pas parce que BenAli a été obligé à fuir, non pas parce que l’on peut maintenant parler librement des démons qui avaient hanté le pays durant l’ère passée, et encore moins parce que les maisons et les voitures des Trabelsis ont été démolies… Le peuple a vaincu parce qu’il s’est débarrassé de sa peur, parce qu’il a adhéré à un projet commun, parce qu’il a pris conscience de son pouvoir, de sa valeur et de ses acquis. Que d’enseignements !

Mais est ce que c’est vraiment « fini » ? Est ce que « tout » a été fait ?
Tout le monde convient que non. De retour aux bureaux et dans la rue, les Tunisiens retrouveront les mêmes visages, occupant les postes… et même si beaucoup d’entre eux (pâlissants de terreur) seraient déjà en train de chercher la nouvelle couleur à porter.
Le policier qui a du subir une sorte de ‘déformation professionnelle’ pendant plus de vingt ans, qui s’est habitué à mépriser les citoyens, à agir en ‘dieu’ et en gardien des lois - hors la loi, à se faire un complément de salaire de la poche des gens… sera-t-il capable de se métamorphoser, par miracle, à l’écoute d’un discours ? Et si ce policier représentait la majorité des forces de l’ordre tunisiennes ?

Le responsable d’une société publique qui ne mérite pas son poste, obtenu par favoritisme ou pour « services rendus », est-il capable de changer, de s’améliorer ? Et si ce responsable représentait une grande partie de ceux qui régissent ce pays ?
Beaucoup de questions se posent aujourd’hui et on ne sait pas si la machine politique tunisienne (je vais le répéter : profondément pourrie) saura consommer ses nouvelles perspectives ? Serait-on capable de nettoyer du linge sale avec de l’eau souillée ?
Peut on vraiment croire que ce que l’on peut faire du neuf avec du vieux ?
Que faudrait-t-il laisser tomber ? Que faudrait-t-il garder ?
Toutefois, il ne faut surtout pas tomber dans le piège de la stigmatisation ; la diabolisation du passé ne nous ressemble pas. Après tout, l’ensemble des Tunisiens doit commencer par faire l’aveu qu’ils faisaient tous, chacun de sa manière, partie de l’« ancien ».
Tout le monde avait cautionné la dictature pendant très longtemps ; tous les tunisiens avaient participé à la mascarade, que ce soit par un « remerciement » en marge d’un discours, par un pot de vin versé à un responsable ou à un policier de circulation, ou même par un silence passif qui a trop duré. Le RCD ne comptait-il pas 2 millions d’adhérents ?!
Il en est de même pour la corruption en Tunisie, un très grand spectre de Tunisiens y avait pris part mais cela ne fera pas de « tous » les tunisiens des ripoux. Il est sûr qu’au-delà d’une certaine barre, il faut que justice soit rendue ; il nous faut un grand ménage mais certainement pas une chasse aux sorcières !
La colère est justifiée mais le triomphe de la révolution ne doit pas l’aveugler. Après tout, le plus important c’est l’avenir et non le passé.
Il n’y a jamais eu de lendemain plus difficile que celui de l’abolition de l’Apartheid en Afrique du Sud. Des siècles d’injustice et de querelles ont été surpassés pour le bien d’une nation condamnée à se réconcilier et à voir de l’avant, ensemble. Ce pays a rapidement pris sa place parmi les grands de ce monde et la nouvelle génération tente déjà de finir avec l’étiquette de discrimination pour qu’elle rejoigne l’histoire ancienne.

La Tunisie est aujourd’hui un corps malade et elle demande à être soignée. Comme tout corps cancéreux, il faut le scanner, commencer par l’opérer, éliminer les métastases irrémédiables puis commencer un traitement de fond… une chimio qui tachera d’assainir ce pays. Ce genre de cures est malheureusement long et pénible, mais inévitable.
Ensemble, les Tunisiens sauront rebâtir tout ce qui a été détruit. La passion qui les emporte fera de ce pays le miracle tant plébiscité…
Les rues démangent encore, et le peuple qui n’a jamais été impliqué dans sa gouvernance se retrouve d’un coup « gardien de sa révolution ». Il demande à être entendu, exige de ne plus être exclu, et dit clairement qu’il ne laissera plus personne mettre la main sur sa destinée.
Tout ce bruit autour du nouveau ministère et du RCD est un signe de santé et de vitalité d’une révolution qui a le droit d’exiger l’éradication du mal, à commencer par sa tête. La population a droit à ne se décolérer qu’après perception d’un vent nouveau, d’un vrai changement. Ce sera la lettre de garantie de la révolution et une pression contre les forces de retour en arrière qui, il ne faut pas le nier, sont aussi réelles que tenaces.
Comme toute naissance, celle de la démocratie tunisienne ne sera pas facile ; et, pour les leaders politiques nouveaux qui ont pris le relais pour cette période transitoire, ils auront la plus rude des taches.
Ce mouvement a tout donné mais a pas été incapable de donner un leadership. C’est peut-être la chance, voire la grâce de cette révolution… Désormais, elle appartient à tous les Tunisiens ; personne ne peut prétendre se l’approprier.
Le retour en arrière est impossible, et ce qui s'est passé est bien irréversible. Personne ne peut voler la révolution parce que personne ne la tient, elle est en chacun de nous.

La révolution a gagné mais elle reste encore fragile et surexcitée. Elle doit se libérer de son panache, de son « adolescence » et de ses discours radicaux. La politique étant, avant tout, une obligation de résultats, et le peuple attend de ceux à qui il vient de rendre le flambeau qu’ils soient à la hauteur, aussi bien des sacrifices, que de la situation.

La mission des rues en colère et des torses nues face aux balles de plomb est aujourd’hui finie ; aujourd’hui commence la deuxième partie de la révolution : celle des têtes.
Chacun doit préserver sa liberté en l’exerçant. Ensemble, on va restaurer la confiance, en l’état et ses institutions, la confiance en notre destin et en les valeurs de droit. Regardons de l’avant, ayons confiance en nous-mêmes, et nous serons capables de préserver notre victoire. Désormais, il sera légitime d’avoir foi que tout ira pour le mieux pour notre pays.

vendredi 19 juin 2009

Avoir 28 ans à Tunis… (version 2009)

Une scène, caricaturale certes, mais aussi véridique que désolante, décrivant le quotidien d’une jeunesse tunisienne qui ne comprend plus rien à rien entre tout ce qui l’entoure d’obligations, de contraintes, de besoins ; économiques, sociaux, humains… :

Un jeune homme, fraîchement rasé, délicatement parfumé, élégamment habillé d’un costume, d'une cravate et d'une paire de chaussures impeccablement cirée, court comme souffle le vent sur les trottoirs marbrés, garnis en boutiques de luxe du quartier chic des « Berges du Lac »… Sur son visage se dessine une peur bleue et son corps volant épouse une gestuelle digne d’un sprinter olympique. A ses trousses courent deux policiers qui avaient rempli la rue de cris et d’injures menaçants, tandis qu’un motard est allé lui couper la route vers la fin de la ruelle qu’il vient de prendre pour échapper à ses persécuteurs.

Ce monsieur n’est pas un cambrioleur, un escroc ou un pickpocket, il s’agit visiblement d’un jeune cadre de banque, d’un bureau d’études ou d’une boîte d’outsourcing… diplômé de gestion, de sciences juridiques, de marketing, ou peut être ingénieur… on devine un fils de bonne famille, bien élevé, motivé, ambitieux… bref, un citoyen modèle !

Ce qu’il fuit, c’est la « rafle » du service militaire ! Une patrouille venait de le saisir en « flagrant délit » marchant sur le trottoir en bas de la société où il travaille, durant sa pause déjeuner. Dès que l’agent de police l’a interpellé, lui demandant de montrer sa carte d’identité nationale, le monde s’était écroulé sur sa tête ; il les a imaginé le «conduire » au poste de police, puis à la caserne, des jours et des jours avant de s’entendre –et ce ne sera qu’à travers un tas d’interventions- sur une régularisation de situation en payant un tribut qui n’est pas moins que la moitié de son salaire pendant un an !
Ses yeux commençaient à tout voir en noir et il se mit à méditer :
Toute une année… et comment survivre ? Déjà il trouve beaucoup de mal à mettre de côté une minable somme en fin de mois pour qu’il puisse espérer se marier dans deux ou trois, peut-être quatre ou cinq ans…
comment il pourra survivre au loyer, aux frais de transport, à une vie de plus en plus chère et qui ne cesse de accabler ses ambitions…
au petit quelque chose qu’il avait promis d’envoyer à ses parents « au bled » tous les débuts des mois…
au prêt qu’il doit payer les mensualités ; la voiture coûte visiblement beaucoup trop ; peut être que c’était trop osé de tenter de posséder une voiture… bientôt il aura une assurance à payer, une vignette, ça devient insolvable…
et si la terre s’arrêterait de tourner ? pendant 21 jours… un an… ? peut être qu’il serait reconduit après, de la caserne directement en prison pour toutes ses traites impayées…
« comment suis-je arrivé là ? était-ce trop demandé, trop osé de vouloir vivre ?
n’avais-je satisfait tous mes engagements ? n’avais-je pas assez combattu ? qu’est ce qu’il me restait à faire et que je n’aurai pas fait ?»
s’est-il dit en courant, la terreur emparée de lui, sans oser se retourner...
« Une année de misère… n’ai-je pas goûté assez à la misère pendant mes années d’étudiant ? n’ai-je pas assez de cette vie de chien ? Comment pourrai-je tendre la main à nouveau à mon père pour lui demander un complément de salaire qui me permettrait un minimum de dignité dans ma vie ?
Non ! je dois courir ; je dois me sauver avec mon argent que l’on cherche à me piquer, n’ont-ils pas assez avec tous ces impôts qui torpillent mon salaire ?
Mais d’où est ce qu’est apparue cette histoire de militaire et de rafle ?! on ne m’en a jamais parlé auparavant, ça n’a jamais fait partie de mes plans !
et voilà que l’on veut me faire comprendre que j’aurais dû…
qu’ils passent des spots sur la télé nationale et des annonces sur les journaux. Mais ils passent un tas de foutaises sur la télé publique et les journaux - torchons que l’on a. Mais qui est ce qui continue à regarder la chaîne « nationale » ??
on me dit là que nul n’est sensé ignorer la loi, mais laquelle des lois ?
Cours avec ton argent ; sauves-toi ! Sauves-toi avec tes jours de jeunesse que personne ne saura te les rendre après… c’est peut être là un devoir plus sacré qu’un service militaire monnayé d’argent, et que personne n’y trouve une explication…
Ils ne m’auront pas aujourd’hui ! Peut être un autre jour, mais pas aujourd’hui ! »

C’est une scène qui se passe tous les jours sur nos rues en ce juin 2009 ; celle des jeunes, «raflés» dans les bus, les métros, les cafés, les salons de thé et les barrages sur les rues ; à toute heure, tard le soir en rentrant chez soi ou tôt le matin en allant au travail, on n’est jamais sûr d’arriver à bon port!
Peu importe que l’on soit avec sa fiancée, sa femme, ses parents… assis dans un salon de thé ou conduisant une voiture, dès que l’on est chopé en ce que l’on pourrait appeler « délit d’existence », on est aussitôt interpellé !

L’angoisse et le stress deviennent l’air que respirent les jeunes de la Tunisie moderne, et même ceux les moins jeunes… on revoit les montres et on vérifie, non pas l’heure mais la date ; sommes-nous bien en l’an 2009 ?! serait-ce vraiment notre pays ? est ce que ce qui se passe serait digne de notre Tunisie, celle qui fait des miracles et qui se creuse un chemin parmi les pays développés… un chemin qu’elle ne s’était pas faite que grâce à la richesse de ses ressources humaines ! un pays qui se dit n’avoir investi que dans ses jeunes…
est-ce que c’est ainsi que l’on voudrait encourager les gens à s’engager dans les projets, la création d’entreprises ?
est-ce que c’est la vision que l’on veut donner aux sociétés offshore qui emploie les jeunes cadres tunisiens, leur montrer notre jeune élite ayant peur de prendre la route ou de sortir la tête de la fenêtre ??!!
Nul mot ne saurait décrire la frustration et l’amertume qui plane sur une ville devenue fantôme de ses jeunes hommes. Du jour au lendemain, la brutalité et la grossièreté de ces « rafles » avaient fait de centaines de milliers de tunisiens des « bons pour la taule », et des cibles potentiels pour des patrouilles de police que l’on n’avait pas vues aussi enthousiastes, aussi appliquées et intransigeantes, lorsqu’il s’agissait de lutter contre la criminalité.

Est ce que c’est ainsi que l’on traite ses jeunes, dans un pays comme le notre et dans l’ère qui la notre ??!
Aucune explication ne pourrait justifier ce qui se passe ! rien ne pourrait légitimer la conduction des gens, ramassés à la louche, en dizaines et comme du bétail, aux postes de police… on n’en revient pas !

Pourtant, il y a juste quelques mois, les murs et les écrans étaient encore ornés de ces affiches évoquant le « dialogue avec la jeunesse ». Aussitôt le dialogue clos, la « rafle » a pris sa place !
Bonjour les bras grand ouverts et les slogans solennels, bonjour la confiance et le respect…
Mais jusqu’à quand continuera-t-on à nourrir cet amalgame entre ce qui est « national » et ce qui se fait passer pour ?


Comme cerise sur le gâteau, juste pour comble, un déplorable journaliste est allé jusqu’à écrire en grand titre au journal « Al Anwar » du samedi dernier : « VIVE LE RAFLE !» et des manchettes du genre : «les citoyens saluent ces campagnes nécessaires et –je site- civilisées, en demandent davantage et remercient les autorités pour avoir nettoyé les rues des délinquants» !!!
Aussi invraisemblable que cela parait, ce sont bien les titres de cet article. Pourquoi ne pas jeter tout le peuple dans les geôles ; on se serait assuré d’avoir –entre autres- mis la main sur tous les criminels du pays… et le peuple qu’il prétend connaître mais qu’est ce que c’est que cette presse, censée être garante des droits du citoyen ?!
Comme quoi, parfois, le ridicule ne tue pas dans ce pays… !

Je ne vais pas parler des droits de l’homme ; certains ont du tellement abuser de cette expression jusqu’à la vider de son sens.
Ce qui me tracasse personnellement, c’est où est ce que c’est le national dans ces pratiques qui sont dignes de forces colonisatrices ? est ce qu’il y aurait dans toute cette histoire quelque chose qui ferait honneur à la nation ?

Mon pays me fait du mal ; ce pays que j’ai toujours assimilé à une mère, généreuse et aimante… celle pour qui l’amour est inébranlable et qu’aucune expression de gratitude n’est suffisante…
C’est cette même mère qui sait parfois devenir injuste et dure avec ses fils…
On continuera pourtant à l’aimer cette mère, à la vénérer… et à espérer qu’elle retrouve rapidement sa raison, parce que cela commence à devenir étouffant.

Parler avec les jeunes - Article publié en septembre 08

La campagne nationale de dialogue avec la jeunesse couvre depuis quelques temps le paysage médiatique tunisien; des spots télévisés, des annonces dans les journaux et des affiches publiques partout.
Il se doit de souligner que, si une telle initiative ait été lancée, c’est que son besoin s'était fait sentir. Là encore, la Tunisie s’est montrée sensible aux inquiétudes de ses fils et être à l’écoute de leurs attentes.
Toutefois, et avant de s’engager dans un tel dialogue, trois questions se posent avec insistance :
1. Pourquoi le dialogue ? serait-ce un sous-entendu d’aveu que la jeunesse, le plus grand investissement de la Tunisie indépendante et son capital principal, n’est pas suffisamment impliquée dans les démarches nationales, voire marginalisée et absente des centres de décision. S’adresser à la « jeunesse tunisienne » en bloc, comme si elle serait une communauté isolée de la société, est particulièrement intéressant ; surtout en considérant que cette jeunesse, du moins la tranche âgée de 18 à 35 ans, constitue plus du quart de la population et plus que la moitié de son élite diplômée !
2. Comment devrait être menée une telle action ? comment un dialogue peut-il s'assurer de toucher toutes les fractions de la jeunesse tunisienne ? celle qui réussit, et celle qui peine ; celle qui se sent confiante en l’avenir et celle qui se voit déçue et désintéressée du pays.Comment procéder pour recruter une tranche de la population qui refuse déjà d’intégrer les processus politiques et sociaux et qui n’est pas habituée à faire le pas pour participer aux débats. En ignorant ces faits, n’aurions nous pas les mêmes têtes et ne retrouverions nous pas les mêmes opinions ?? Ceux qui son déjà présents, ceux qui s'expriment déjà et qui sont bien dressés aux rouages politiques, jouissant d'une certaine satisfaction et dont les discours se retrouvent plus ou moins en harmonie de phase avec le discours général.Je suis loin d'imaginer que cette campagne fut lancée pour eux, et que l'état se fut infligé toute cette peine pour quelque chose de déjà acquise.
En ignorant, ou en manquant à fournir l'effort nécessaire pour recruter à ce dialogue la masse silencieuse, déjà par définition passive, ne serions-nous pas en train de perdre une nouvelle occasion d’écouter ceux qui ont un avis différent à donner, les repoussant davantage dans leurs coins.
3. Qu’est ce que l’on s’attend de ce dialogue ? et quels sont les paramètres pour évaluer le succès de ce mouvement par rapport aux objectifs préalablement fixés; le taux de couvertures des recensements et discussions effectués, la pertinence des discussions et les perspectives qu'elle peuvent émettre... Ayons nous des paramètres plus tangibles et plus explicites que des chiffres secs et vides de "tant de personnes ont participé" ou "tant d’idées ont été collectées"...?!
Toutefois, il se doit de dire aussi que cette campagne confirme ce que l’on peut définir de «début de printemps de l’expression » en Tunisie, et qui se fait sentir depuis quelques temps dans le paysage médiatique national. Une petite visite au forum de discussion ouvert sur le net, le « pacte-jeunesse.com », permet d’avoir une idée : tous les sujets sont présents, sans tabous ni retenues, du port du voile au patriotisme, passant par l’identité nationale. Les jeunes sont bel et bien en train de s’exprimer déjà très librement sur le net ; mais ce qui est intéressant ici, c’est qu’ils viennent le faire sur un « site officiel ».Il reste que ce forum, imprégné en ‘mauve’, est conçu d’une manière qui installe une certaine confusion entre l’aspect « nationaliste » que propose la campagne et des positions politiques précises. Même lorsqu’on est pour la politique actuelle du pays, on doit reconnaître qu’il soit discréditant à ce dialogue, proposé dans une approche démocratique et pluraliste, de l’associer à un parti ou des appartenances politiques aux dépends des autres... Il sera alors naturel que soient seules ces mêmes fractions, déjà acquises, qui participent au dialogue, et qu’une bonne partie de la jeunesse, opposante ou tout simplement désintéressée de la politique, voit en cette campagne un outil politique ou une propagande qu’ils n’ont rien à voir avec !
Cette démarche est venue répondre à des sentiments de ‘non compris’, de ‘soumis au rythme’ et de 'désintérêt', qui s’étaient faits sentir chez les jeunes tunisiens. Cette jeunesse qui a été soigneusement éduquée, qui se sent aujourd’hui fière de ce qu’elle est devenue et digne de la grandeur de son pays.
Pourtant, et parmi les premières réactions recueillis sur la campagne de dialogue, fut la frustration ! Déjà, et à peine la campagne démarrée et que les jeunes commençaient à y prendre part, on assistait à des spots télévisés, rembobinés en continu, montrant des jeunes étudiants arabes vivant en Tunisie, répétant que le jeune tunisien doit s’estimer heureux de ses acquis et se dire qu’il vit beaucoup mieux que ses semblables ailleurs ! Si ce serait bien la conclusion à laquelle on cherche à aboutir, ce n'est plus un dialogue mais une leçon de plus... Et qui avait dit que le tunisien n’en était pas déjà conscient ? Toutefois, aborder ainsi la discussion est, honnêtement, tout sauf motivant pour ce qui sera de sa suite. Entretenir la langue de bois dans le dialogue adressé à la jeunesse est souvent perçu comme un ‘manque de considération à son intelligence et son éducation’. En effet, en considérant que l’écrasante majorité de la jeunesse tunisienne d’aujourd’hui, élevée à l’ère de l’internet et des chaines satellites, est bien instruite et bien ouverte sur le monde extérieur, le discours qui lui est adressé doit absolument tenir compte de ses attentes et de son niveau intellectuel.
Le slogan de cette campagne de dialogue, en soi-même, va encore plus loin dans cette problématique : « les jeunes sont la solution et pas le problème ! » ; mais déjà, pourquoi avoir pensé qu’ils peuvent en être un ? et qu’est ce qui avait amené les gens à voir dans la moitié de la population, celle dans laquelle s’est investie toute la nation pendant ses 50 ans d’indépendance, un problème ..?!
Avec l’élargissement des moyens, grandissent les besoins ; alors il est tout à fait naturel que le jeune tunisien voit aujourd’hui en plus grand et soit plus exigeant ; cela ne fera point de lui moins patriote. Il se peut que son ‘désintérêt’ n'est autre qu'une passive réponse à son exclusion ; au faite qu’il ne soit pas suffisamment impliquée dans les processus sociaux, économiques et politiques du pays, que l’entrée aux cercles politiques tunisiens -donnant toujours l’impression d’être bien balisés- demeure conditionnée à un nombre de positions et pratiques, perçues par beaucoup comme révolues, voire indignes de leur temps et de leur éducation.La jeunesse tunisienne, qui est en train de se procurer le centre de gravité de la société démange d’une énergie qui jaillit dans tous ses états, tantôt destructrice (immigration clandestine, intégrisme, violence dans les stades…), et d’autres constructive (carrières à succès, exploits sportifs, prouesses scientifiques…). Canaliser cette énergie et essayer de la ramener dans l’intérêt national commun est une très importante opportunité pour le pays; elle permettra de donner un grand souffle porteur aux démarches progressistes déjà engagées. Une transition dans le calme et la sérénité ; à la tunisienne…
Le tunisien est très intelligent, très nationaliste et très fier de son identité et de ses appartenances. Etre un jeune tunisien aujourd’hui est pour beaucoup un label qualité ; rimant avec sérieux, compétence et succès. Il ne songe qu’à être reconnu par ses aînées, être respecté pour ce qu’il est, et impliqué dans l’élaboration de son avenir. Malgré tout ce que l’on peut dire de lui, le jeune tunisien est mature et se place parfaitement bien dans un contexte international compliqué. La question est justement un problème de communication, et cette campagne de dialogue, malgré des imperfections qui restent récupérables, est certainement l'une des meilleures initiatives prises pour reconstruire les ponts et inviter la jeunesse tunisienne à prendre une position plus avancée dans les projets nationaux.